Le Réveil de Notre Système de Santé
- Particuliers |
- 20/01/2021
Heureusement, les petits rouages humains sont parvenus à faire monter en régime l'énorme machinerie de la santé, 3 millions de soignants, 220 milliards d'euros de dépenses de sécurité sociale, et un incroyable maquis de circulaires, de lois et de normes. L'épidémie de coronavirus aura eu une vertu : mettre en évidence la négligence et le sous-investissement qui ont abîmé ce pilier du pacte social, pour commencer à réparer et à reconstruire.
L'hôpital rattrape le temps perdu
Les établissements de santé ont pris de plein fouet l'épidémie, après avoir encaissé dix ans de restrictions budgétaires aveugles. Quand la vague a surgi, les hospitaliers démoralisés étaient en grève depuis un an, mais ils ont tout de même répondu à l'appel. Les procédures bureaucratiques ont miraculeusement disparu. Les chefs de service ont retrouvé une vraie liberté d'action. L'argent n'a plus été un problème.
Tirant les enseignements positifs de cette épreuve, le gouvernement a initié la « débureaucratisation » de l'hôpital . La concertation « Ségur de la santé » a débouché en juillet sur une multitude de décisions structurantes : par exemple, la suppression du comité national chargé de valider les investissements des établissements , trop technocratique, remplacé par une structure incluant des élus locaux. Avec la loi Rist de décembre, les médecins sont mieux associés à la gouvernance des hôpitaux, et les hospitaliers peuvent coopérer avec d'autres soignants de ville ou de clinique pour suivre les patients. En 2022, en théorie, la tarification des soins va aussi être réformée, pour offrir une vision de long terme et privilégier les bons gestes plutôt que le volume d'activité.
Revalorisation massive des hospitaliers
La mesure la plus spectaculaire du Ségur de la santé a été la revalorisation massive des hospitaliers, 180 euros nets mensuels, négociée avec leurs syndicats, puis déclinée dans les établissements privés et dans les Ehpad. Au total, 8,2 milliards d'euros par an ont été débloqués. Cette hausse historique ne satisfait pas toutes les attentes, mais succède à dix ans de gel du point d'indice, et permet à la France de rattraper tout ou partie de son retard européen en matière de rémunération des infirmiers ou des aides-soignants. Au passage, les 35 heures ont été assouplies : une infirmière qui accepte de travailler cinq heures de plus chaque semaine peut arrondir ses fins de mois de 400 euros.
De quoi accroître la main-d'oeuvre disponible, espèrent les directeurs d'hôpitaux, qui se réjouissent également de l'ouverture de places dans les écoles de soignants. La pénurie de personnel pourrait être bien moindre dans trois ans. Ils vont aussi pouvoir acheter des équipements de pointe et rénover leurs locaux, grâce à un plan d'investissement de 6 milliards sur cinq ans, plus la reprise d'un tiers de la dette hospitalière par l'Etat.
La télésanté devient réalité
Alors que les téléconsultations, remboursées depuis septembre 2018, ne dépassaient pas 40.000 actes par mois, l'épidémie a fait décoller cette nouvelle pratique. En avril, 4,5 millions de feuilles de soins ont été facturées à distance. L'élan n'est pas entièrement retombé après le pic, avec 1,9 million d'actes en juin et 650.000 en août. Sur l'année, la téléconsultation a représenté 5,4 % des consultations des médecins libéraux, contre 0,1 % avant la crise. Plus de 60.000 médecins, quasiment tous libéraux, souvent généralistes, y ont goûté.
Ce soudain attrait pour la téléconsultation a été encouragé par les pouvoirs publics. L'hôpital ayant arrêté les consultations ordinaires pendant la première vague, et les Français préférant se terrer chez eux plutôt que d'aller chez leur médecin traitant, il fallait éviter un renoncement aux soins massif. Et accessoirement, permettre aux soignants non mobilisés sur le front du Covid de gagner leur vie.
L'épidémie de coronavirus aura eu une vertu : mettre en évidence le sous-investissement qui a abîmé notre système de santé, pilier du pacte social, pour commencer à le réparer et le reconstruire.
La règle qui impose au médecin d'avoir rencontré son patient une fois en chair et en os avant de téléconsulter a été suspendue. Ceux qui le préféraient ont pu consulter par téléphone. Le gouvernement a aussi ouvert le champ de la télésanté à de nombreuses professions : sages-femmes, infirmiers, orthophonistes, podologues ou kinésithérapeutes. Enfin, les téléconsultations ont été prises en charge à 100 % par l'Assurance-maladie. Cette mesure extraordinaire a été prolongée jusqu'à fin 2022.
Dans le cadre du Ségur de la santé, il a été décidé d'accélérer le développement des téléconsultations en pérennisant certains assouplissements, et en faisant participer les mutuelles au financement. La télé-expertise doit également être étendue à des non-médecins, et la télésurveillance bénéficier d'une rémunération. Cela doit passer par des négociations conventionnelles, qui ont échoué cet automne. Elles doivent reprendre au deuxième trimestre.
Le réveil des Ehpad
Dès la première vague, les Ehpad ont commencé à se transformer. Des filières gériatriques se sont constituées, afin d'hospitaliser rapidement les personnes âgées en mesure de l'être, ou bien de leur dispenser des soins palliatifs. Port du masque, lavage des mains, désinfection, les exigences d'hygiène renforcées pourraient conduire à long terme à une baisse de la mortalité due à la grippe et au rotavirus. Les maisons de retraite se sont équipées pour la téléconsultation et ont parfois investi dans des tablettes numériques pour que les résidents puissent communiquer avec leurs proches. Les maires ont tissé des liens nouveaux avec les Ehpad en crise.
Une prise de conscience des enjeux de santé publique
Avec l'épidémie, la santé publique a gagné ses lettres de noblesse. Jusqu'en mars, on faisait peu de cas de ces médecins qui cherchent à prévenir plutôt qu'à guérir, et qui s'intéressent à la société dans son ensemble. Mais il y a eu le choc de la contagion, de la vulnérabilité collective. Et la découverte des gestes barrières, du masque - puisque le coronavirus ne se soigne pas. Demain, quand la grippe hivernale reviendra, les Français sauront comment se protéger.