Vaccination : Une Hésitation Française
- Particuliers |
- 04/12/2020
L’hésitation vaccinale est un concept désignant un très large spectre de comportements, qui se situent dans l’intervalle allant de l’acceptation sans condition de la vaccination et son rejet complet. Entre ces deux extrêmes, la réticence à la vaccination peut être plus ou moins forte.
Pour des raisons historiques, liées aux travaux de Louis Pasteur notamment, la France a longtemps été un pays très « pro-vaccins ». La vaccination était un instrument de rayonnement et de fierté nationale, exploitée à ce titre par les institutions, surtout à la fin du XIXe siècle. Jusque sous la Ve République, cette tradition provaccinale est demeurée bien ancrée. Il existait un consensus social et culturel très fort autour de l’intérêt de la vaccination.
Qui sont ces réseaux conspirationnistes ?
3 types d’acteurs identifiés
Les premiers sont des acteurs de type « politique », majoritairement d’extrême droite et d’extrême gauche libertaire. Pour eux, la vaccination représente avant tout une emprise de l’État sur la vie privée, et doit donc être combattue en tant que telle. Ces acteurs produisent une forme de critique qui est plutôt d’ordre politique, même si elle alimente des positions conspirationnistes.
La seconde catégorie d’acteurs est purement économique. Il s’agit de start-up travaillant dans le domaine de « l’économie de l’attention », qui se positionnées sur ce sujet car elles y ont détecté un marché potentiel. Ces « entrepreneurs de la défiance », qui sont localisés en Europe de l’Est ou dans certains pays occidentaux, vont créer des sites spécialisés dans le conspirationnisme pour les monétiser, mais ne sont pas forcément eux-mêmes convaincus par les récits qu’ils véhiculent. Ils exploitent le filon de ce « marché cognitif », pour reprendre l’expression du sociologue Gérald Bronner.
Le troisième type d’acteurs est constitué par la nébuleuse qui gravite autour du marché des pratiques médicales alternatives, qui tiennent un discours critique et vaccinosceptique depuis toujours. La critique vaccinale constitue pour ces acteurs une manière d’acquérir une certaine visibilité. Ces réseaux sont polymorphes et complexes, souvent anonymes. En outre, certains hérauts de la critique vaccinale peuvent avoir un double positionnement, être par exemple à la fois proches des milieux d’extrême droite et de structures à visées commerciales promouvant les médecines alternatives.
Les nouveaux outils numériques ont joué un rôle important dans la diffusion de ces idées.
Ces réseaux se sont rapidement approprié les nouveaux outils numériques pour diffuser leurs récits. Par ailleurs, les spécialistes qui ont examiné le discours sur la vaccination sur les réseaux sociaux numériques ont montré que les réseaux vaccinosceptiques et vaccinocritiques sont beaucoup plus réactifs et produisent beaucoup plus de contenus (notamment nouveaux) que les sites institutionnels ou les gens qui défendent la vaccination, lesquels sont souvent des scientifiques, des médecins ou des experts qui n’ont que peu de temps à consacrer à cette production de contenus.
Il se crée donc une asymétrie entre d’un côté un discours négatif très dynamique, très relayé par des gens très engagés, qui investissent beaucoup de temps et d’énergie, et d’un autre côté la production du discours de défense de la vaccination moins « dynamique ».
À tel point qu’il y a quelques années les sites qui arrivaient en tête lorsque vous tapiez juste le mot vaccin ou vaccination dans les moteurs de recherche étaient des sites vaccinosceptiques ou vaccinocritiques, qui étaient mieux référencés que les sites institutionnels. Depuis les choses ont changé, car les pouvoirs publics ont fait le nécessaire pour améliorer leur référencement sur les moteurs de recherches.
Qui plus est, les approches alternatives, qui avaient disparu avec le développement de la médecine conventionnelle, ont tendance à susciter à nouveau l’engouement : les théories holistiques, les questions d’équilibre, les régimes alimentaires alternatifs… Le tout s’accompagne de l’émergence de figures de « gourous guérisseurs ». Ces discours sont dans l’imaginaire collectif de plus en plus prégnants, et sont relayés par certaines figures médiatiques.
Le succès de ces « thèses » s’explique par la disparition, dans nos pays, de grandes épidémies de maladies infectieuses
C’est effectivement le premier argument historique : la critique vaccinale réémerge au moment où disparaissent les gens qui ont connu les maladies infectieuses contre lesquelles la vaccination a connu ses plus grands succès, comme la poliomyélite. Qui se souvient que, jusque dans les années 1950, chaque année des milliers d’enfants se retrouvaient lourdement handicapés à cause de ce virus ? Suite- aux campagnes de vaccination, l’incidence de la poliomyélite s’est effondrée, comme celle de la rougeole, de la variole… Les témoins de ces époques ont peu à peu disparu, et on a perdu la mémoire collective des conséquences de ces grandes épidémies. La motivation à se faire vacciner a disparu.
Il faut souligner un point important concernant le succès des thèses anti-vaccination : la psychologie expérimentale nous enseigne qu’à partir du moment où les gens ont développé une conviction sur un sujet, elle est très stable. Tant que les gens n’ont pas d’idée arrêtée sur un sujet, la discussion est possible, mais ensuite les faire changer d’avis requiert beaucoup de temps et d’énergie. Dans le champ de la prévention, on conseille de ne pas essayer de discuter ou de converser de manière énergique avec des anti-vaccination convaincus, car cela a un effet pervers : cela renforce leurs convictions.
L’épidémie de Covid-19 change t’elle la donne ?
Ces dernières années, on a observé des flux et des reflux de l’hésitation vaccinale. Entre 2010 et 2015-2016, son taux a baissé, passant de 40 % à 20 %. Les choses s’amélioraient. Cependant, dans le contexte actuel de défiance envers les institutions, on craint plutôt à une explosion, en dépit de l’épidémie en cours. Quand nous avons demandé, au mois de mai dernier, si les gens étaient prêts à se faire vacciner contre la Covid-19, 25 % d’entre eux déclaraient ne pas le souhaiter. Aujourd’hui, ce taux a grimpé à 45 %.
C’est d’autant plus étonnant que nous avons vécu une reprise épidémique importante ces dernières semaines, avec des conséquences à la fois sociales et économiques dévastatrices. Étant donné la pression de l’épidémie sur nos sociétés, nous avions fait l’hypothèse qu’il y aurait un regain d’intérêt pour la vaccination, or c’est l’inverse qui s’est produit. Pourtant, nous ne nous sortirons probablement pas rapidement de cette situation sans la mise à disposition d’un vaccin efficace.